Tannerre en Puisaye a perdu son Château

Une disparition sentimentale et financière

Pour la vie de la petite citée

Toucy. - Mardi, en fin d'après-midi, Tannerre-en-Puisaye,comme beaucoup d'autres bourgades qui ont vécu les nuits agitées « des mai », connaissait le calme paisible des premières soirées de printemps. La brume du soir allait bientôt envelopper le château et son parc, lorsque la conductrice d'une voiture, Mme Demogeat, venant du hameau des François, porta, comme elle a l'habitude de le faire, son regard admiratif sur ce cadre charmant. Elle n'en crut pas ces yeux de voir que le château était embrasé, toutes les fenêtres en bas à gauche étaient éclairées et des flammes dévorantes sortaient de la toiture. Elle se rendit immédiatement chez Mme Colombe Rapin, l'épicière toujours disponible, et toutes deux donnèrent l'alerte. Il était un peu plus de 19 heures.

LES SECOURS

Tout d'abord, les gardiens, M et Mme Maurice Vérain, qui, comme une fatalité, depuis quelque temps, n'habitent plus à proximité de leur lieu de travail, puis les pompiers locaux avec leur adjudant Frisquet, le centre de secours de Bléneau et leur pompier professionnel furent sur les lieux avant que n'arrivent les renforts d'Auxerre, Saint-Fargeau et Toucy, ils s'employèrent tous de leur mieux à essayer de protéger l'aile droite qui contenait ta réserve de fuel. Quand tous furent réunis autour de la grande échelle déployée par les pompiers d'Auxerre, ce sont sept grosses lances et trois petites qui étaient en batterie, déversant des milliers de mètres cubes d'eau sur l'immense brasier. Les douves furent d'un grand secours, de même que la réserve du château d'eau de Louesmes. Quant à celui de Tannerre, il allait être vite épuisé.

Le commandant Bauchet directeur départemental du service incendie, avait pris en personne le commandement des opérations. Rien n'y faisait, toutes les matières inflammables périssaient à grand fracas de toitures et de charpentes brisées. Un à un, les planchers, à tous les niveaux, s'effondraient et les fenêtres disparaissaient ce n'est que vers 1 heure du matin que les flammes s'éteignirent.

ACCIDENTEL

Pendant tout ce temps, les gendarmes de la brigade de Bléneau, rapidement sur les lieux, commençaient à rassembler les éléments de leur enquête. Une tâche impossible au moment du sinistre qui les obligea à revenir le lendemain, en compagnie de leur chef, l'adjudant Guiblain. Etaient également sur les lieux l'adjudant-chef Kjan, de la gendarmerie départementale, la brigade des recherches avec le maréchal des logis-chef Desplanques et le gendarme Gros, le capitaine de pompiers Parisot et son adjoint de l'inspection départementale incendie.

Leurs recherches communes, après de nombreux recoupements, leur permirent de déceler que l'origine du sinistre était purement accidentelle. En effet, une pièce du château en bas était en réfection en vue d'être repeinte. Pour cela, le grattage des murs était nécessaire : un chalumeau avait servi à faire fondre les vieilles couches. Or, il est évident que dans l'amoncellement des vieilles boiseries, une étincelle a pu s'incruster ; le bois ayant par endroit la consistance de l'amadou, le feu y a couvé sans que l'on puisse s'en rendre compte.

A la faveur d'un courant d'air complice, tout s'embrasait.

LES DÉGATS

Ils sont difficilement calculables. Ce sont là des richesses inestimables, car de nos jours il est quasiment impossible de reconstruire un tel ensemble avec son style et son architecture si particuliers, avec la variété et la quantité des matériaux employés. De plus, le château de Tannerre, dont l'usage essentiel était l'accueil de la colonie de vacances de la ville de Vitry-sur-Seine, avait été amélioré et rendu confortable avec ses lits, ses meubles pour 80 personnes, ses installations modernes de confort, de chauffage et d'électricité. Le chiffre du milliard d'anciens francs est avancé, il est très plausible.

Et puis il y a les pertes d’un autre genre. Nous pensons tout d'abord aux enfants de la ville de Vitry quand leurs vacances sont si étroitement liées à la commune de Tannerre ; à la municipalité de Vitry qui se retrouve ainsi devant un problème insoluble, que ce soit sur le plan moral et le plan financier ; aux personnes de Tannerre, puisque plusieurs femmes trouvaient là un emploi rémunérateur au moment de la période active ; aux commerçants locaux qui travaillaient avec et pour le château. Il était la vie même de la petite bourgade des bords du Branlin, comme le reconnaissaient le maire, M. Jacob, et ses conseillers. « C'était un cœur pour nous et notre vie battait à son rythme ». disait, consternée, une personne âgée qui, comme toutes celles présentés, était atterrée par ce sinistre.

L'HISTORIQUE

Le château de Tannerre datait de la fin du XVIIIe siècle, début XIXe. A l'origine, « La maison de lierre » qui, elle, un peu éloignée, n'a subi aucun dégât, en est la partie la plus ancienne, elle était la résidence des seigneurs d'autrefois.

Façades et proportions harmonieuses, pierres blanches et briques rosés sous sa toiture ardoisée, et agrémenté d'une pièce d'eau, véritables douves, il fut construit par la famille de Lestrade, près de l'entrée d'un parc à proximité d'une maison de bois du XVe siècle, ornée d'un écu avec croix de Saint-André.

En 1919-1920, il devint la propriété de la famille Commergnat d'Auxerre, qui le revend en 1962, à l'« Association des forces vives » (service de culture et d'orientation pour adolescents). C'est en 1966 que la ville de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) en fait à son tour l'acquisition en vue de son exploitation en colonie de vacances.

Le 2 mai 1978 au soir, le château de Tannerre-en-Puisaye aura été la proie des flammes, un sinistre terrible de violence l'aura fait disparaître et, d'ici quelque temps. Les murs calcinés seront sans aucun doute rasés.

Il ne restera que le parc qui conservera, dans sa frondaison de verdure, les échos des ébats joyeux des enfants de Vitry et de la musique mélodieuse sortie des cordes de la guitare de Blas Sanchez, ce grand professeur de musique qui, l'an dernier, y fit une session d'audience internationale –

André GUYARD.

Extrait du journal  «  l’ yonne républicaine » du 5 Mai 1978